20+ ans d’analyse de produits psychotropes en Belgique francophone
Par Bérénice Libois, Michaël Hogge, Arthur Boudoux, Charlotte Lonfils, Nicolas Van der Linden
Depuis plus de vingt ans, Modus Vivendi mène un projet d’analyse de produits psychotropes aussi appelé testing. Pour marquer ce cap, nous publions ce numéro des Carnets du Risque qui présente le dispositif et les principaux résultats du projet dans une triple démarche d’autoévaluation, de capitalisation et de militantisme. Dans le cadre du projet, qui s’adresse exclusivement aux usagers de drogues, ceux-ci ont la possibilité de faire analyser leurs produits et de recevoir des informations et des conseils de Réduction des Risques personnalisés. En tant qu’outil de Réduction des Risques, le testing est porteur de valeurs. Cela se traduit notamment par le fait que les usagères sont considérées comme des adultes responsables capables de s’autodéterminer et qui doivent à tout moment se sentir libres d’accepter ou non l’aide proposée et co-décider des modalités de celle-ci. Par ailleurs, le projet s’inscrit pleinement dans l’approche par les pairs. En effet, l’équipe d’intervenantes est composée de travailleuses sociales, de laborantins mais aussi de jobistes qui sont des (ex-)usagers de drogues et qui enrichissent le projet avec leur perspective unique. Depuis 2011, l’analyse de produits psychotropes est proposée en deux lieux, un point fixe se trouvant au centre de Bruxelles et, sur site, au festival Esperanzah! Sur la période couverte par ce carnet, le projet utilisait trois techniques d’analyse : des tests colorimétriques - surtout le test du Marquis -, la chromatographie sur couche mince et la chromatographie gazeuse couplée à une spectrométrie de masse. Tandis que les deux premières techniques sont réalisées en présence de l’usagère, la dernière est réalisée en laboratoire. Longtemps resté pilote, le projet a récemment obtenu une reconnaissance de la Commission communautaire française. Il évolue néanmoins dans un environnement politico-légal fédéral qui menace sa pérennité et compromet son développement.
Entre 2011 et 2018, 1138 échantillons ont été analysés. Nous constatons une augmentation constante du nombre de demandes d’analyse (+ 100% en huit ans). Ces demandes concernaient le plus souvent des échantillons supposés de MDMA, de speed ou de cocaïne. Les échantillons de NPS se classent au quatrième rang des produits les plus souvent testés mais, contrairement aux trois autres produits précités, le nombre de demandes d’analyse les concernant est relativement stable. Plus d’un échantillon sur six a été acquis sur Internet (un chiffre qui a quadruplé entre 2011 et 2018). Les analyses réalisées sur les produits envoyés en laboratoire (n = 683) mettent plus particulièrement en évidence qu’un cinquième des échantillons étaient discordants, soit que la substance annoncée n’était pas présente, soit qu’une substance supplémentaire inattendue était présente ; un septième des échantillons contenaient un adultérant attendu, le plus souvent légal (e.g., caféine) ; la moitié des échantillons de MDMA et un tiers de ceux de speed et de cocaïne avaient une concentration particulièrement élevée (> 75%); le dosage des échantillons de MDMA est en hausse (+ 100% entre 2012 et 2018) ; 12% des échantillons, typiquement des pilules de MDMA surdosées, ont fait l’objet d’une alerte précoce. La plupart des demandes sont introduites pas des usagers de drogues évoluant dans les milieux festifs, ce qui correspond au public visé. Il s’agit le plus souvent d’hommes avec une moyenne d’âge d’environ 30 ans. Nous constatons également que notre public a tendance à prendre de l’âge, à se masculiniser et à être (de plus en plus) soucieux de sa santé.
Dans ce numéro des Carnets du Risque, nous présentons également les atouts du dispositif ainsi que des perspectives futures censées pallier aux limites actuelles du projet. Parmi ces perspectives futures, nous retrouvons l’acquisition d’un appareil permettant de réaliser des analyses par spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier et l’ouverture d’un point mobile.
Le présent numéro dresse un bilan globalement positif de nos activités de testing. Les résultats qui y sont présentés témoignent en effet de leur utilité en tant qu’outil de veille sanitaire et en tant qu’outil de Réduction des Risques. Cependant, dans le contexte belge, la portée des activités de testing est limitée par le cadre politico-légal. Pour une exploitation optimale de leur potentiel, il conviendrait de se détourner de l’approche sécuritaire et répressive actuellement privilégiée, en faveur d’une nouvelle politique drogues basée sur la santé publique et les droits humains.