La Déclaration du Cap pour décriminaliser la pauvreté et le statut

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La Déclaration du Cap pour décriminaliser la pauvreté et le statut

18 janvier 2023
Campaign to Decriminalise Poverty and Status

Vous trouverez ci-dessous une version résumée de la Déclaration du Cap, rédigée par les participants à la conférence de la Campagne pour Décriminaliser la Pauvreté et le Statut, à Stellenbosch, en Afrique du Sud, du 27 au 29 septembre 2022. La Déclaration du Cap a été adoptée par consensus par les participants, avec une requête de diffusion et de transmission à toutes les parties prenantes concernées, aux gouvernements nationaux, aux organismes intergouvernementaux et aux mécanismes régionaux des droits de l’homme.

La Déclaration du Cap exprime une profonde préoccupation, attire l’attention et exige une action urgente, globale et mondiale concernant les points suivants :

1. Les inégalités se creusent dans le monde entier et les États criminalisent de plus en plus la pauvreté, le statut et/ou le militantisme, ce qui constitue une violation directe du droit international des droits de l’homme et a un impact disproportionné sur les personnes pauvres et marginalisées.

2. Les personnes les plus touchées par cette criminalisation sont, entre autres, les personnes vivant dans la pauvreté, les femmes, les enfants, les sans-abri, les personnes issues de groupes raciaux, ethniques et de castes marginalisés, les peuples indigènes et les groupes tribaux, les groupes religieux, les personnes handicapées, les personnes discriminées en raison de leur état de santé, les toxicomanes, les personnes âgées, les membres de la communauté LGBTQIA+, les travailleurs du sexe, les réfugiés et les migrants.

3. Les États utilisent couramment le système de justice pénale contre des personnes pour des raisons qui n’aboutissent pas à la justice, mais qui visent plutôt à protéger les frontières de la richesse, des privilèges, du pouvoir et du statut. Dans le monde entier, les preuves évidentes de ces violations incluent, mais ne sont pas limitées à :

a) Des lois datant de l’époque coloniale qui criminalisent le vagabondage, le flânage, la mendicité, le fait de dormir et de manger en public, ou le fait d’être oisif et désordonné, et qui sont couramment utilisées contre les personnes pauvres et marginalisées.

b) L’utilisation accrue de lois pénales, telles que la sédition, le blasphème, le terrorisme, ainsi que des lois criminalisant les manifestants pacifiques, pour réprimer la dissidence, cibler les défenseurs des droits de l’homme et les dirigeants de communautés et de mouvements, et contrôler, interdire et disperser les manifestations pacifiques.

c) Les approches punitives visant à atteindre des objectifs de santé publique, telles que les réponses sécurisées à la pandémie de COVID-19 ou la criminalisation de la consommation de drogues, sont supportées par les communautés pauvres et marginalisées, limitant leurs droits et leur capacité à maintenir leurs moyens de subsistance et à subvenir aux besoins de leurs familles.

d) La détention fondée sur l’incapacité à payer une caution, des frais, des amendes ou des options non privatives de liberté liées aux actifs, combinée à l’absence d’accès à des services d’aide juridique efficaces, entraîne la détention disproportionnée et excessive de personnes pauvres et marginalisées.

4. Cette application du pouvoir de l’État et le recours excessif au droit pénal et aux sanctions se traduisent par de graves violations des droits de l’homme, notamment la torture, les disparitions forcées, la détention arbitraire, les expulsions forcées et d’autres violations des droits à la dignité, à un logement adéquat, à la nourriture et à la santéh.

5. Depuis 2000, la population carcérale mondiale a augmenté de 24%, dont un tiers est constitué de détenus provisoires qui n’ont été condamnés pour aucun crime et qui sont souvent les plus vulnérables. La détention a également un impact socio-économique direct sur des communautés entières, creusant les inégalités et perpétuant les cycles de la pauvreté.

6. La couverture médiatique et les récits largement répandus sur la criminalité et le système judiciaire sont souvent formulés dans un langage trompeur et désobligeant qui englobe la stigmatisation, la discrimination et l’intolérance, permettant ainsi aux États de justifier la répression systémique en introduisant et/ou en maintenant des politiques et des pratiques qui violent les droits de l’homme.

7. Collectivement, ces résultats injustes vont directement à l’encontre des progrès réalisés dans le cadre du Programme 2030 sur les Objectifs de développement durable et de la promesse de « ne laisser personne de côté », notamment La Déclaration du Cap pour Décriminaliser la Pauvreté et le Statut RÉSUMÉ l’éradication de la pauvreté (Objectif 1), l’égalité des sexes (Objectif 5), le travail décent (Objectif 8), la réduction des inégalités (Objectif 10), la jouissance d’un logement adéquat pour tous (Objectif 11) et la réalisation de sociétés plus pacifiques, justes et inclusives (Objectif 16).

Recommandations : Une voie à suivre

La Déclaration du Cap appelle les Etats et les systèmes de justice pénale du monde entier à :

1. Mettre fin à la criminalisation des personnes fondée sur la pauvreté, le statut et l’activisme en adoptant des réformes fondées sur les droits de l’homme qui réinvestissent dans les communautés et détournent les fonds de l’application de la loi vers des mesures qui s’attaquent aux causes profondes des contacts avec le système de justice pénale.

2. Réviser et abroger toutes les lois, pratiques et procédures qui criminalisent la pauvreté et le statut, et s’assurer en outre que les lois criminalisant des comportements en termes généraux, vagues et ambigus sont abrogées ou modifiées. Mettre en place des mécanismes permettant d’identifier et de libérer immédiatement les personnes arrêtées, soupçonnées et condamnées pour ces infractions, et d’effacer leur casier judiciaire.

3. Examiner et adopter des plans d’action orientés vers la lutte contre toutes les formes de discrimination dans les systèmes de justice pénale et garantir une responsabilité et une réparation effectives pour les victimes de toute violation des droits de l’homme.

4. Éliminer la détention en raison d’une incapacité à payer une caution, des frais, des amendes ou des options non privatives de liberté liées aux actifs et rechercher des options alternatives qui ne criminalisent pas la pauvreté ou d’autres statuts.

5. Intégrer une approche intersectionnelle, fondée sur les droits et la santé publique dans tous les efforts de réforme et veiller à ce que les réformes prennent en compte et combattent activement les formes multiples et cumulées de discrimination.

6. Reconnaître la féminisation de la pauvreté et s’attaquer aux lois, politiques et procédures qui ciblent ou touchent de manière disproportionnée les femmes perçues comme violant des normes patriarcales bien ancrées.

7. Augmenter la disponibilité et l’utilisation de la déjudiciarisation, des alternatives réelles à l’arrestation et à la détention, conformément aux Règles de Tokyo et de Bangkok des Nations Unies, et aux principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité.

8. Veiller à ce que toute personne détenue, arrêtée, soupçonnée ou accusée d’une infraction pénale et qui n’a pas les moyens de s’offrir les services d’un avocat, ait droit à une aide juridique à tous les stades de la procédure pénale.

9. Abroger les lois qui criminalisent le militantisme et la dissidence, ainsi que toutes les autres lois qui restreignent la jouissance des droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association.

10. Former, superviser et équiper les responsables de l’application de la loi pour qu’ils soutiennent les droits de l’homme des individus, plutôt que d’utiliser la force et les tactiques de dispersion contre les citoyens qui manifestent pacifiquement.

La Déclaration du Cap appelle les Etats, la communauté internationale, la société civile et toutes les autres parties prenantes à soutenir le mandat ci-dessus, et à :

1. Convoquer une réunion intergouvernementale d’experts avec une représentation de toutes les parties prenantes concernées, afin d’étudier les moyens d’aborder la crise mondiale de la criminalisation de la pauvreté, du statut et du militantisme, y compris la possibilité de proposer une déclaration de principes de base et de lignes directrices.

2. Centrer le leadership des personnes directement touchées qui ont une expérience de première main de la criminalisation et de l’incarcération et des communautés touchées pour développer des politiques et des pratiques appropriées.

3. Reconnaître, financer et renforcer le rôle de la société civile dans la gouvernance, la prise de décision et le suivi des mesures visant à répondre à la criminalisation de la pauvreté, du statut et du militantisme.

4. Mandater et plaider pour que tous les acteurs et organismes concernés collectent et rendent publiques toutes les données sur la criminalisation de la pauvreté et du statut social, en les ventilant selon toutes les données démographiques pertinentes.

5. Engager et sensibiliser les parties prenantes concernées à la criminalisation de la pauvreté et du statut, à l’utilisation d’un langage approprié et à la nécessité d’éviter les récits nuisibles, lors de la sensibilisation du public.