Captagon : Déconstruction d'un mythe

Publications

Captagon : Déconstruction d'un mythe

28 juillet 2017

Les attentats du 13 novembre 2015 en Île-de-France ont engendré un intérêt soudain pour le stupéfiant désigné depuis une trentaine d’années sous le nom de « captagon », que de très nombreux médias ont hâtivement qualifié de « drogue des terroristes », « potion magique des djihadistes » ou « drogue de Daech ». On dispose de relativement peu d’informations pour comprendre le captagon, d’où l’apparition de théories plus ou moins fantaisistes qu’il est souvent difficile de démontrer ou d’invalider. La production de connaissances sur le phénomène est en effet fortement contrainte par l’absence de données provenant des principaux marchés de consommation de cette drogue, dont les plus importants semblent être les pays du golfe Persique.

En effet, si ces derniers pays et, plus globalement, l’ensemble des pays arabes, communiquent régulièrement des données de saisies de stupéfiants aux organisations internationales, peu d’éléments contextuels sont disponibles permettant d’en estimer la fiabilité en l’absence de systèmes officiels d’observation de la situation des drogues et étant donnée la forte stigmatisation de l’usage de drogues dans cette région. Ainsi, les données sanitaires et épidémiologiques systématisées permettant d’analyser sur des bases tant soit peu scientifiques la demande de captagon, notamment son ampleur, les groupes sociaux dont elle est issue et ses conséquences sont très lacunaires. Cela dit, il existe un ensemble d’éléments suffisamment fiables qui permettent de mieux comprendre ce qu’est et ce que n’est pas le captagon et de formuler une série d’hypothèses quant à la structure de l’offre de ce produit. C’est à ces tâches que s’attèle ce rapport.

La question du captagon ressemble à une équation à plusieurs inconnues propices aux fantasmes et aux supputations. Cependant, des certitudes permettent de dissiper diverses contrevérités. Ainsi, le captagon qui circule actuellement sur des marchés de consommation situés, quasi exclusivement, dans la péninsule Arabique n’a plus aucun rapport avec le médicament éponyme, qui fut prescrit légalement dans divers pays. Ce que l’on appelle captagon à l’heure actuelle n’est, dans l’écrasante majorité des cas, et hormis les classiques « arnaques », qu’un « nom de rue » supplémentaire pour l’amphétamine, laquelle circule également sur les marchés européens sous celui de speed. Ce produit, relativement banal, était fabriqué jusque dans les années 2000 par des filières balkaniques, bulgares et turques principalement, spécialisées dans la synthèse de l’amphétamine et sa transformation en comprimés.

Comme en témoignent les saisies conjuguées de précurseurs, d’amphétamine et de produits finis, il apparaît que du fait de l’action policière une partie de la production s’est relocalisée au plus près des marchés de consommation et notamment au Liban. Ce processus s’est inscrit au Moyen-Orient dans le contexte violent de l’éclatement de la guerre civile en Syrie et de la désintégration de l’Irak, notamment sous les coups des armées djihadistes. La conjugaison de ces événements a contribué à alimenter une série de rumeurs et d’allégations plus ou moins fausses sur fond de propagandes de guerre. La moindre de ces allégations n’étant pas que le « banal » captagon ne constituerait rien d’autre que la « drogue des djihadistes », la substance par excellence des combattants de Daech et, par extension, de ses affidés occidentaux et notamment français, ce que les éléments objectifs ont jusqu’à présent régulièrement démenti.

Abonnez-vous à l'Alerte mensuelle de l'IDPC pour recevoir des informations relatives à la politique des drogues