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Distribution de seringues en prison en France : la réduction des risques doit pouvoir s’appliquer aux personnes détenues
Bien qu’une loi de 2016 prévoie le déploiement des outils de réduction des risques (RDR) dans les prisons, les programmes d’échange de seringues sont rares et sont le fait d’initiatives locales dépendantes de la qualité des échanges avec la direction de l’établissement ou d’initiatives soignantes unilatérales plus ou moins occultées. En Saône-et-Loire, après la découverte en cellule de matériel d’injection stérile, l’administration a communiqué avoir fait retirer le matériel. Il est pourtant indispensable que les personnes détenues puissent y avoir accès, les risques de transmission de maladies infectieuses étant en outre accrus du fait de leur forte prévalence dans ce milieu.
Dans une dépêche AFP du 7 octobre 2022, syndicats d’agents pénitentiaire et administration pénitentiaire réagissaient à la découverte de matériel de RDR dans les cellules d’une prison de Saône-et-Loire distribué par l’unité sanitaire. Seul un point de vue sécuritaire est présenté à ce sujet omettant les enjeux sanitaires.
La Fédération Addiction fait partie d’un collectif d’organisations pour la réduction des risques en prison rassemblant AIDES, ASUD, ASUD Mars Say Yeah, Collectif TRT5-CHV, la Ligue des droits de l’homme, Médecins du monde, Nouvelle Aube, l’Observatoire international des prisons, le Sidaction, le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France.
Distribuer des seringues en prison, c’est la loi !
Inscrit dans de nombreux textes nationaux et internationaux, un principe d’équivalence des soins en milieu carcéral et en milieu libre s’applique. Depuis 2016, la RDR est reconnue par la loi comme faisant partie de l’offre de soin qui doit s’appliquer en prison au même titre qu’en milieu ouvert. En effet, la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 dispose que « la politique de réduction des risques et des dommages s’applique également aux personnes détenues, selon des modalités adaptées au milieu carcéral ». Cependant, à ce jour, aucun décret d’application de la loi ne précise ces « modalités adaptées », ne permettant pas un déploiement encadré nationalement des mesures de RdR en prison. Les premières victimes en sont les personnes détenues qui nécessitent pourtant une attention particulière du fait de la vulnérabilité de ce public et des risques pris liés aux conditions carcérales. C’est en ce sens que nous entendons que les personnes détenues doivent bénéficier de « modalités adaptées » pour l’application de la RDR.
Le programme d’échange de seringue, un danger dans un environnement carcéral ou une opportunité de sécurité ?
Il faut le rappeler, les consommations ne s’interrompent pas nécessairement à l’entrée en détention. Des produits circulent, et l’un des modes d’administration est l’injection. Selon une enquête nationale, parmi les personnes détenues qui rapportaient des pratiques d’injection en milieu libre, 14% les poursuivaient en prison ; et parmi elles 40,5% déclaraient avoir partagé leur matériel[1]. Une autre enquête réalisée à la maison d’arrêt de Lyon-Corbas estime que l’injection est pratiquée par 30% des consommateurs d’au moins un produit illicite autre que le cannabis[2].
Le partage de matériel présente un risque très important d’infection au VIH et aux hépatites virales, particulièrement présentes dans la population carcérale. Pour refuser la mise en place de programmes d’échange de seringues, les agents pénitentiaires évoquent différents risques notamment se blesser dans le cadre de fouilles, et que la seringue puisse être utilisée comme une arme par la personne détenue. Au contraire, l’évaluation des programmes d’échange de seringues en prison en Europe montre une absence d’incidents à l’encontre des surveillants et des codétenus[3].
En réalité, ces programmes constituent une opportunité pour sécuriser la présence de ce matériel. En effet, protocoliser la distribution peut permettre de prévoir une trousse de sécurité qui évite les piqures accidentelles, ou bien un espace dédié à son stockage comme un casier pour matériel médical évitant ainsi de devoir cacher les seringues faisant craindre un risque aux surveillants lors des fouilles.
Interdire la distribution de matériel d’injection stérile tel que cela est le cas actuellement, représente donc une mise en danger des personnes détenues et des agents pénitentiaires.
En prison, l’infection par le VIH et les hépatites virales sont 6 à 10 fois plus prévalentes que dans la population générale
Il y a urgence à appliquer la RdR en prison
En prison le risque infectieux est bien plus important qu’en milieu ouvert : l’infection par le VIH et les hépatites virales sont 6 à 10 fois plus prévalentes que dans la population générale[4]. A cela s’ajoute la forte prévalence de addictions : on estime qu’un tiers des personnes qui entrent en prison présentent une problématique addictive et que la quasi-totalité continuent à consommer d’une manière ou d’une autre[5]. Les risques de contamination en cas de partage de matériel sont donc particulièrement importants.
L’approche principalement sécuritaire et disciplinaire de l’administration pénitentiaire s’est montrée incapable de mettre fin à la circulation des produits stupéfiants, à leur consommation et à l’existence de matériel d’injection. Loin d’établir un cadre sanitaire protecteur pour les personnes consommatrices, la réponse répressive et prohibitive les encourage à adopter des pratiques dangereuses pour leur santé. L’absence de matériel de réduction des risques et les conditions carcérales augmentent les pratiques à risques faisant peser un important risque épidémiologique sur les personnes détenues et la société. Elle confronte de plus les soignants à des impasses éthiques et déontologiques, empêchant d’intervenir malgré des prises de risque déclarées et avérées que les personnes ne peuvent ou ne veulent cesser, et ce alors que la loi le permet.
Si la loi de 2016 prévoit l’application de la RDR en prison c’est qu’elle a montré ses preuves en termes d’intérêt sanitaire et qu’elle fait partie intégrante du soin de l’addiction. Restreindre son intervention est une atteinte aux droits humains que le principe d’équivalence des soins doit protéger.
C’est pourquoi depuis 2017 nos organisations se sont rassemblées en collectif afin de porter collectivement un plaidoyer pour l’application de la loi de 2016 et pour la mise en œuvre d’une véritable stratégie de réduction des risques en milieu carcéral.