20 ans de décriminalisation des drogues au Portugal : quelles leçons en tirer ?

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20 ans de décriminalisation des drogues au Portugal : quelles leçons en tirer ?

13 janvier 2022

Le modèle de décriminalisation portugais célèbre ses 20 ans cette année, une opportunité de réfléchir sur cette politique et de tirer des leçons sur son efficacité et sur la possibilité pour d’autres nations d’adapter un modèle similaire au sein de leurs frontières.

Un peu d’histoire…

Dans les années 1990, le Portugal a vu une propagation très préoccupante du VIH et des taux de mortalité parmi les personnes usagères de drogues. Un large pourcentage de prisonniers étaient incarcérés pour délits de drogue sans que cela n’endigue les problèmes de santé liés à la consommation. Face à la crise, une commission d’experts de différentes couleurs politiques a été constituée afin de rédiger une nouvelle stratégie nationale en matière de drogues. Approuvé en avril 1999, le document appelait à une approche fondée sur l’humanisme, le pragmatisme, l’innovation et l’importance de se centrer sur des preuves scientifiques. Au cœur de cette stratégie : la décriminalisation de toutes les drogues.

Comment la décriminalisation fonctionne-t-elle ?

En parallèle, le gouvernement portugais a investi considérablement de ressources dans les services de réduction des risques et de traitement. La nouvelle loi a introduit un système administratif complexe reposant sur des « Commissions pour la Dissuasion des Addictions à la Drogue » chargées de rencontrer toute personne interpellée par la police en possession d’une certaine quantité de drogues, fixée à 10 jours de consommation. Chaque Commission est composée de trois personnes : un travailleur social, un professionnel de santé et un avocat, soutenus par une équipe technique.

Les Commissions ont la possibilité d’orienter la personne vers des services de réduction des risques, de traitement et d’assistance sociale. Elles peuvent aussi imposer des sanctions administratives telles que des amendes, la nécessité de se présenter régulièrement à un hôpital ou un commissariat de police, ou d’effectuer un travail communautaire. La décision est prise au cas par cas.

Pourquoi une telle renommée ?

Le modèle portugais est unique en son genre dans sa complexité et sa volonté de répondre aux problèmes liés à la drogue avec une approche sanitaire et sociale, au cas par cas. Le gouvernement portugais a par ailleurs subi de nombreuses pressions diplomatiques suite à la réforme, tant par le système onusien (en particulier l’Organe international de contrôle des stupéfiants qui a depuis revu sa copie et explicitement soutenu la politique portugaise) que par d’autres gouvernements. Cette situation a poussé le Portugal à se lancer dans un effort d’éducation à l’échelle mondiale afin d’apaiser les craintes liées à sa politique de décriminalisation, mais aussi pour démontrer les nombreux bénéfices d’une telle approche.

Quels ont été les résultats ?

La consommation de drogues n’a ni fortement augmenté, ni fortement diminué depuis 2001, restant en dessous de la moyenne européenne. Par ailleurs, le fort investissement dans les services de réduction des risques, de traitement et d’assistance sociale auxquels les personnes usagères de drogues pouvaient enfin accéder sans crainte d’être incarcérées, discriminées ou stigmatisées, ont eu un effet radical sur la santé. En effet, le nombre de décès liés à la consommation de drogues au Portugal reste bien en dessous de la moyenne européenne, à 6 décès par million de personnes âgées de 15 à 64 ans comparé à 23,7 par million en 2019.

Enfin, a décriminalisation a permis de réduire considérablement le nombre de personnes en contact avec le système de justice pénale, selon l’Indice mondial sur les politiques des drogues publié le mois dernier. En effet, alors que plus de 40% des personnes condamnées étaient en prison pour délit de drogues en 2001, seules 15,7% l’étaient en 2019, un chiffre bien en dessous de la moyenne européenne et mondiale.

Et pourtant, le modèle portugais de décriminalisation est imparfait et critiqué. Ce modèle reste tout d’abord ancré dans une approche prohibitionniste vis-à-vis des drogues et donc bien que les personnes consommatrices ne soient plus criminalisées, la consommation reste illégale, les Commissions peuvent imposer des sanctions et le système reste relativement intrusif dans la vie des consommateurs, la substance est confisquée (une sanction en elle-même) et cette substance continue d’être achetée sur marché noir, où aucun contrôle de qualité du produit ne peut être effectué.

De plus, bien que les personnes consommatrices ne soient plus considérées comme des « criminels », elles sont libellées comme étant « malades ». Cela reste problématique et stigmatisant, car toute personne consommatrice de drogues n’est pas forcément dépendante et n’a pas nécessairement besoin d’une intervention médicale. Certaines critiques ont aussi été émises vis-à-vis des seuils de quantité établis au Portugal pour définir si la possession de drogues est pour usage personnel ou pour vendre à profit. Ces seuils ont été décrits par certaines personnes consommatrices portugaises comme étant « inadéquats » et « trop bas ».

Par ailleurs, même si les relations avec la police se sont largement améliorées suite à la décriminalisation, les personnes usagères de drogues, en particulier les plus pauvres, restent victimes de violences policières fréquentes.

Enfin, même si le Portugal continue d’investir dans les services de réduction des risques et de traitement, le pays a eu des difficultés à s’adapter aux nouveaux modes et types de consommation de drogues et donc certaines interventions telles que les salles de consommation à moindre risque ou les services d’analyse des drogues sont souvent indisponibles. Le Portugal est enfin à la traîne dans la mise à disposition de services adaptés aux femmes et à la communauté LGBTQ+.