Plan national contre les stupéfiants : non au tout répressif en France

Wikipedia Commons - CC BY 2.0 - Domenjod

Actualités

Plan national contre les stupéfiants : non au tout répressif en France

23 octobre 2019

Par Michel Kazatchkine et Ruth Dreifuss, membres de la Commission globale de politique en matière de drogues / Libération

Tribune. Le gouvernement a présenté mi-septembre son nouveau plan national de lutte contre les stupéfiants. Cette présentation a symboliquement eu lieu à Marseille en présence de quatre ministres (Intérieur, Justice, Budget, ainsi que le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur). Nous prenons note, comme nombre de citoyens français, de l’absence des ministres de la Solidarité et de la Santé, de l’Education nationale et de la Jeunesse, de la Politique de la ville et de la Lutte contre la discrimination. Cela confirme, s’il le fallait, l’idéologie répressive qui préside à une nouvelle «guerre aux drogues» française, condamnée à échouer comme les précédentes.

Malgré plus de cinquante ans de répression policière et judiciaire contre les habitants des quartiers défavorisés et les moins pourvus en infrastructures sociales et économiques, les échecs se sont accumulés : le marché criminel de la drogue s’élève à 3,2 milliards d’euros par an ; 80% des règlements de comptes répertoriés sont liés à la drogue ; les prisons sont surpeuplées, avec des conditions de détention indignes ; des milliers de décès chaque année sont directement attribuables à l’usage de substances du marché de rue toujours plus dangereuses, coupées avec des additifs néfastes et dont les dosages sont toujours plus puissants.

Et que propose le nouveau plan national ? Sa pièce maîtresse est la création d’une «DEA» (Drug Enforcement Agency) à la française, alors que l’on sait que son inspiratrice américaine n’a pu réduire ni la production, ni le trafic de substances illégales, ni leur dangerosité. La violence dans les quartiers – entre les organisations criminelles et de la part des forces de l’ordre – est au plus haut et les réponses aux problèmes de santé publique, qui n’épargnent aujourd’hui aucun Etat et aucune grande ville du pays, ni aucune strate sociale, tardent trop pour endiguer la crise sanitaire.

Traque de la corruption

Certes, il importe de développer la lutte coordonnée contre les organisations criminelles transnationales. Ceci suppose une collaboration intergouvernementale en ce qui concerne l’échange d’informations, la traque de la corruption et du blanchiment d’argent, et la mise en place d’un contrôle efficace du cyberespace. Car ce sont bien les «barons» du crime organisé et leur enrichissement qui doivent être la cible de la répression internationale.

Or le plan ne différencie pas les divers niveaux de responsabilité dans le marché illégal de la drogue et se concentre sur les acteurs non-violents et «prolétaires» de ce marché –consommateurs, petits trafiquants et passeurs. Espérer remonter la filière du trafic en criminalisant les délinquants du bas de la pyramide criminelle, si facilement et rapidement remplaçables, est non seulement inefficace mais encore contre productif : le marché se nourrit plus des conditions socioéconomiques des couches sociales les plus dépourvues que de l’avidité des pauvres. De plus, l’idée que les autorités soient capables d’anticiper les évolutions du marché des drogues se trouve discréditée par l’arrivée chaque semaine sur le marché de nouvelles substances psychoactives – plus puissantes, plus faciles à produire et à transporter – ainsi que par l’impossibilité de collecter des données fiables sur leur consommation et leur dangerosité, dès lors que la confiance entre les populations visées et l’Etat est rompue.

Profils associés

  • Global Commission on Drug Policy