Cannabis légal : « Le Maroc doit d’abord construire son propre marché avant de vouloir exporter vers l’Europe »

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Cannabis légal : « Le Maroc doit d’abord construire son propre marché avant de vouloir exporter vers l’Europe »

20 septembre 2023
Khalid Tinasti
Le Monde

En voulant garder le contrôle policier sur l’ensemble de la chaîne commerciale, Rabat risque d’étouffer l’innovation, porteuse de retombées économiques, argumente le chercheur Khalid Tinasti.

Tribune. Entre les pressions régionales et mondiales pour réduire sa production illégale de cannabis, et l’opportunité d’en transformer une partie en industrie médicale légale suite au retrait du cannabis de la liste des substances sans valeur thérapeutique dans la convention unique sur les stupéfiants en décembre 2020, le Maroc a choisi de répondre en adoptant sa loi sur les usages licites du cannabis en juillet 2021.

Visant le développement d’une filière industrielle nouvelle mais portée par le ministère de l’intérieur (et non ceux de l’industrie, de la santé ou de l’agriculture), la loi incarne le chemin de crête que prennent les autorités marocaines : d’un côté garder un contrôle policier sur la chaîne commerciale, de la culture de la plante à la livraison de produits finis, et de l’autre espérer convaincre l’opinion publique en développant une filière d’export à forte valeur ajoutée, permettant des débouchés économiques solides aux cultivateurs traditionnels des montagnes du Rif, première zone de production illégale au monde.

Cette approche prudente est certes en conformité avec le droit international qui classe le cannabis comme substance aussi addictive que l’héroïne ou la cocaïne, et impose un contrôle strict de ses utilisations légales. Elle sert aussi de point d’équilibre entre conservateurs et libéraux dans le pays en légalisant quelques usages tout en les maintenant sous tutelle policière, cette réforme ayant été prônée et appuyée par deux corps progressistes, la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) et le Conseil économique, social et environnemental, alors que le parti islamiste Justice et développement, celui du chef du gouvernement au moment de l’adoption de la loi, a voté contre au Parlement.

Cependant, les circonvolutions complexes de l’adoption de la loi, couplées à la diffusion d’un discours public projetant une future domination du marché mondial comme argument pour attirer les investisseurs nationaux et internationaux, montrent les limites de l’exercice.