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Cure de désintoxication à la mosquée

11 avril 2012

Tous les lundis et mardis matins, le petit homme mince prend le bus pour se rendre à la mosquée Ar-Rahman, à une heure et demie de son domicile en banlieue de Kuala Lumpur. Après avoir dit ses prières, il grimpe les marches jusqu’à la mezzanine de l’édifice religieux, où il fournit un échantillon d’urine avant de consulter un médecin. Ensuite, un pharmacien lui donne un petit gobelet en plastique contenant de la méthadone, pour l’aider à se débarrasser de son addiction à l’héroïne. Il dit s’être injecté de l’héroïne pendant sept ans, avant de commencer à fréquenter la mosquée Ar-Rahman, il y a environ un an. “Ça me permet de ne plus prendre d’héroïne dans la rue, assure-t-il à propos de la méthadone. Ça me rend capable de travailler.” D’après certains exégètes musulmans, les drogues qui empêchent les musulmans d’accomplir leur devoir religieux sont interdites par l’islam.

En Malaisie, le trafic de stupéfiants est passible de peines sévères pouvant aller jusqu’à la mort. Selon les quantités possédées par les contrevenants, ils peuvent se voir infliger une amende, ou encore la prison à vie, ou la flagellation. Mais à Ar-Rahman, les médecins de l’Université de Malaisie ont réussi à associer les autorités religieuses à ce que l’Organisation Mondiale de la Santé dépeint comme le premier programme de méthadone à fonctionner dans une mosquée. Les médecins espèrent que deux autres mosquées de Kuala Lumpur vont s’y rallier dans les prochains mois. Si les programmes de désintoxication à la méthadone se sont multipliés depuis 2005 du fait du manque de cliniques disposant de la place et des installations nécessaires, les individus qui auraient pu profiter de ce traitement continuaient d’être négligés, commente le docteur Rusdi Abdul Rashid, coordinateur en chef du Centre des sciences de l’addiction de l’Université de Malaisie, en charge du programme à Ar-Rahman.

La première fois que les médecins ont approché les autorités de la mosquée et le département officiel du Développement islamique, dont l’approbation est indispensable à toute activité dans l’enceinte des mosquées du pays, ils se sont heurtés à une vigoureuse opposition. Les autorités craignaient que la méthadone ne soit interdite par l’islam, raconte le docteur Rusdi. Mais les médecins ont expliqué que la méthadone était différente des autres drogues, car il s’agit d’un médicament qui ne suscite aucune euphorie chez les patients. “Ils ont accepté de nous laisser piloter le programme,” rapporte le docteur Rusdi dans un entretien.

Lancé en 2010, le programme concerne aujourd’hui 50 patients âgés de 18 à 60 ans. Au début, ceux-ci doivent prendre la méthadone sous la surveillance stricte de pharmaciens. Au bout de quelques mois et après au moins deux analyses d’urine consécutives prouvant qu’ils ne consomment plus de drogues, les patients sont autorisés à rapporter jusqu’à trois doses chez eux. Nizam Yussof, trésorier d'Ar-Rahman, explique que si la commission de la mosquée a accepté d'héberger ce programme, c'est parce qu'il aide les gens à se reprendre en main. “Beaucoup d'entre eux ont recouvré la santé, ils ont déjà un emploi stable, certains d'entre eux se sont mariés et ont une nouvelle famille, commente-t-il. Cette organisation fait du bon travail”.

Mais tout le monde n'est pas de cet avis. Au dire de Yussof, certains fidèles ont exprimé des craintes et voulaient savoir pourquoi le programme ne pouvait pas être mis en œuvre dans un hôpital. “Quand ils voient les toxicomanes, certains pensent que ce n'est pas bon qu'ils traînent dans la mosquée”, ajoute-t-il. A la mosquée Ar-Rahman, le ministère de la Santé distribue gratuitement des doses de méthadone et rémunère les deux pharmaciens qui fournissent cette substance, tandis que des médecins de l'université de Malaya et des généralistes viennent une fois par semaine examiner les toxicomanes. Chaque patient paie 15 ringgit par semaine, soit environ 4,90 dollars [3,2 euros].

Le docteur Rusdi assure que le traitement apporte aussi un “mieux-être spirituel”, quelle que soit la religion du patient. “Nous pensons que la spiritualité peut jouer un rôle indépendamment du traitement à la méthadone, estime-t-il. Elle permet de mieux fidéliser les patients, de réduire les comportements à risque vis-à-vis du VIH et d'améliorer la qualité de vie”. Récemment, un mardi, plusieurs hommes pieds nus, les uns jeunes, les autres plus âgés, ont gravi les marches de la clinique. Un homme de 48 ans qui se faisait appeler Carlos a dit qu'il avait commencé à se rendre à la mosquée environ un an auparavant, après avoir été héroïnomane pendant trente ans. Carlos gagne sa vie en jouant de la musique dans les rues les plus touristiques de la capitale. Depuis qu'il a mis fin à sa consommation d'héroïne, il a pu acheter à sa famille une petite maison. “Je pense que c'est un très bon programme”, a-t-il assuré, tenant trois bouteilles de méthadone qui devaient durer jusqu'à sa prochaine visite. “Chez les chrétiens, ils ont des toxicomanes qui fréquentent les églises, a-t-il poursuivi, évoquant des programmes d'autres pays. "Mais les musulmans peuvent aussi se servir de la mosquée pour aider des gens comme nous”.

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